D’un confinement à l’autre Il y a eu les vacances d’hiver, paisibles mais bien occupées.Et puis la rentrée, qui n’en fut pas vraiment une.Quand je dis la rentrée, cela signifie que les enfants retournent au collège et que mes journées sont à nouveau rythmées par les transports, le travail, les tâches ménagères,… finalement, j’aime bien ce rythme quasi-monastique où chaque chose a sa place, chaque tâche a son temps. Les vacances, c’est tout de même un peu fatiguant… Bref, la semaine 1 est un peu chaotique. Peu de professeurs au collège d’Elisa, des cours supprimés, le virus plane au-dessus de la ville et les autorités hésitent sur les mesures à prendre. Théo continue à se rendre au collège la semaine entière, hormis le lundi, le temps de digérer la nouvelle sans doute…, tout semble bien aller, si ce n’est la pression des parents qui commencent à avoir peur et veulent garder leur progéniture à la maison. Et puis, le week-end des 7 et 8 mars, le couperet tombe : dans notre département, les crèches, écoles, collèges et lycées ferment leurs portes jusqu’à nouvel ordre. À la maison, un enfant se réjouit, l’autre fait la tête. Moi, je ne sais quoi penser. De toute façon, rien ne me sert de penser quoi que ce soit, les faits sont là, il va falloir assumer. Me reviennent en mémoire les scènes de lutte avec mon fils pour qu’il se mette au travail le soir après sa journée de collège. J’en ai des sueurs froides. Et l’idée qu’il faille assister ma fille dans ses apprentissages si laborieux achève de tétaniser ma pensée. Je n’y arriverai pas, c’est sûr. Pas d’échappatoire pour moi, je ne peux plus aller travailler : les maisons de retraites, les Maisons d’Accueil Spécialisé, les Établissements de soin de suite, l’hôpital psychiatrique, … tous ces endroits ne m’accueilleront plus pour des animations de groupe, ce n’est pas vital… . Mon mari, quant à lui, ne semble pas le moins du monde perturbé, de toute façon, il continue à travailler et rien ne va changer pour lui. Semaine 2. Lundi matin, je me dis qu’avec un peu de courage, je devrais y arriver. J’ouvre mon ordinateur pour récupérer les devoirs de mes trésors d’ados, encore imberbe pour l’un, légèrement boutonneuse pour l’autre…. Monter les escaliers, ouvrir l’ordinateur, imprimer les devoirs, les descendre dans leur chambre respective ; récupérer le travail fait, remonter les escaliers vers mon bureau, me contorsionner pour arriver à l’imprimante coincée sous mon bureau (c’est dire si je l’utilise souvent en temps normal), scanner, trouver l’adresse du prof, lui envoyer avec une bafouille, souffler ; recommencer. Pas nécessaire de faire du sport, mes jambes et ma tête gambergent dans tous les sens… En fait, la semaine passe à toute vitesse. Nous avions fait un planning :9 heures-11 heures : Cours11 heures–12 heures : dehors12 heures–13 heures : reportage, documentaire…13 heures–14 heures : repas14 heures–15 heures : Jeux vidéo15 heures–16 heures : Sport16 heures–17 heures : temps libre17 heures–18 heures : devoirs18 heures–20 heures : film20 heures : repas Planning parfait pour moi, rassurant. Mais c’est sans compter avec la réalité ! Plus de travail que prévu pour Théo, moins pour Elisa. Et d’autres besoins que ceux qui me semblaient adaptés pour eux bien sûr ! Pas le choix, je dois abandonner quelque chose de moi et de mon envie de tout maîtriser… Dur ! Je passe la semaine à regarder sur Internet et Pronote, à imprimer les devoirs, les donner aux enfants, les accompagner selon les besoins, récupérer les devoirs, les scanner, les envoyer, imprimer les corrections, leur montrer et le cas échéant, recommencer.Finalement, ce nouveau rythme qui m’est imposé ne me déplait pas vraiment. Je prends le temps de faire une pause dans l’après-midi pour m’aérer, marcher dans la forêt, ou aller faire une course. Et surtout, les soirées sont détendues, puisqu’il n’y a plus de travail scolaire à faire. Semaine 3.Tout est assez simple. Les enfants travaillent sans rechigner, ils s’entendent bien, nous ne manquons de rien et sommes en bonne santé. Nous ne sommes pas un couple fusionnel et trop de promiscuité nuit à notre intimité… heureusement, mon mari travaille trois jours par semaine à Paris et deux jours seulement en télétravail. Nous habitons une maison avec un jardin dans une résidence bordée par une forêt. Je me balade, je prends l’air, je fais de l’exercice, je passe du temps au téléphone avec mes proches. Nous ne souffrons pas du confinement. Le nuage du virus plane à des kilomètres au-dessus de nos têtes. Semaine 4. Le mardi 24 mars, je me lève comme d’habitude et là, c’est la tuile. En mettant une chaussette, je me bloque le dos. La douleur est aigüe, lancinante, je sais tout de suite que ce n’est pas un simple faux mouvement. Le pire qui puisse m’arriver, ce n’est pas d’arrêter de respirer, c’est d’arrêter de bouger. Je le prends d’abord avec le sourire, au point où on en est… Je déambule à deux à l’heure dans la maison. Le moindre mouvement me fait mal. Je ne peux pas rester assise très longtemps, encore moins couchée. Je ne suis bien que debout ou en marche. Alors, je mets un pied devant l’autre, je tourne parfois autour de la table de la salle à manger, et je râle. J’avais enfin du temps, pour faire toutes les vitres de la maison à fond, repeindre la cabane de jardin, tondre les pelouses et tailler les arbustes. En passant près de la bibliothèque, je prends un livre, de préférence que je n’ai pas encore lu… et pour cause, le titre ne m’attire pas : L’inceste, de Christine Angot. Je ne sais plus du tout d’où vient ce livre, qui me l’a conseillé, … bref, je reculais l’instant de l’ouvrir, mais là… au point où j’en suis… Alors, je m’y plonge, en marchant sur la terrasse, dans la cuisine, assise mais en changeant de position souvent… Je ne peux pas m’arrêter… Pourtant, on ne peut pas dire que le sujet soit très glamour, l’écriture n’est pas facile, les images loin d’être sages… Elle m’agace un peu cette femme-enfant qui s’auto-analyse à la recherche de sa maladie mentale… Comment qualifier le fait que je sois allée jusqu’au bout ? Pitié ? Dégoût ? Voyeurisme ? Les trois sans doute. En tous cas, il n’y a pas de quoi me réconcilier avec mon corps. Erreur de casting. Semaine 5, premier jour. En guise de confinement, me voilà confinée dans mon corps, et même pas à cause du Coronavirus ! Ce corps qui cogne et qui m’enferme encore… Je ne l’aime pas. Non pas qu’il soit disgracieux ou trop ceci, pas assez cela. Je le trouve plutôt pas mal … à part les cicatrices sur les jambes (fallait pas vouloir épater un copain à vélo) et les varicosités sur lesdites jambes… (çà, c’est sûrement l’âge et puis l’hérédité, merci maman !) Tout va plutôt bien, à part aussi le menton en galoche et les cheveux trop fins… À part ça, j’aime bien mon corps… Mais il m’enferme. Il me prive de ma liberté de penser, d’aimer, de vivre et de ne pas vivre… Qui m’a donné ce corps ? Je n’avais rien demandé, il me semble ! En fait, je m’étais juste habituée, il me rendait de menus petits services… Mais là, quand il ne m’obéit pas ce con, quand il fait la grève, je le déteste ! Qui m’en délivrera ? Le Covid-19 ?